Libre(s) de cuisiner

Libre(s) de cuisiner

J’avais envie de vous faire partager une expérience toute particulière que j’ai vécu en mars dernier à la J’avais envie de vous faire partager une expérience toute particulière que j’ai vécu en mars dernier à la Prison des Femmes de Rennes. L’équipe du magazine Cita’delles m’a contacté pour réaliser un atelier culinaire au sein de la prison, j’ai été à la fois surprise et touchée que l’on me propose une telle expérience ! Tellement de questions ont alors fusé dans ma tête : Qui vais-je rencontrer ? Combien seront-elles ? Pourquoi sont-elles en prison ? Vais-je être à la hauteur pour leur apprendre à cuisiner ? Sont-elles dangereuses, car on ne va pas se mentir, pour cuisiner, il faut bien des couteaux !

Alain Faure, le coordinateur du projet, a su rapidement me rassurer en me confiant que c’était un moment très convivial et que toute l’équipe des Établissements Bollec serait là pour m’accompagner. Ouf ! Après avoir répondu « Oui bien sûr, tu peux compter sur moi le 21 mars », je me suis demandé si je n’avais pas dit oui pour satisfaire ma curiosité… mais en vrai, j’avais vraiment envie de vivre cette expérience humaine.

Le centre pénitentiaire de Rennes est la plus grande prison des femmes d’Europe. C’est le seul établissement pénitentiaire réservé exclusivement aux femmes en France et qui a une capacité d’accueil de 298 places. Citad’elles est un magazine féminin pas tout à fait comme les autres, créé en septembre 2012. C’est une vraie revue trimestrielle tenu par un groupe de détenues en longue peine qui réalise avec l’aide de graphistes et de journalistes indépendant des articles de qualité professionnelle. Le magazine sort en 600 exemplaires et il est distribué dans cette prison à Rennes ainsi que dans d’autres établissements pénitentiaires de l’ouest. C’est surtout une aventure humaine où l’on prend plaisir à échanger ses idées, où l’on apprend à débattre, à travailler ensemble avec un objectif commun ; une expérience valorisante, qui donne la parole à des femmes qui en ont toujours été privé et leur permet de retrouver l’estime de soi.

Pour préparer l’atelier, plusieurs consignes : réaliser un menu entrée, plat, dessert pour 25 personnes ; préparer des recettes originales avec la liste des ingrédients auxquelles les femmes détenues ont accès. Le menu que j’ai imaginé est une sorte de voyage culinaire : départ pour la Colombie avec un Ceviche de Champignons de Paris (elles n’ont pas de poisson à la prison), petit survol vers le Mexique avec un guacamole et des tortillas de blé maison (merci Alain pour l’idée). Ensuite, direction l’Inde avec un poulet tandoori à la semoule épicée et, atterrissage sur un rocher congolais ! Des recettes simples que ses femmes pourront refaire et adapter sans soucis dans leur division.[/vc_column_text]

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Jour J : 8h40

J’ai rendez-vous devant le grand portail blanc. Je laisse mes affaires dans un casier avant de traverser le beau patio central à l’architecture remarquable. Même si nous sommes au plein cœur du centre pénitencier, aucune femme ne se promène dans ce beau jardin, et pour cause, il est interdit aux détenues. Seul le « chemin sous les arcades » est autorisé.

9h10 – Bâtiment J

Une fois arrivée dans la cuisine de professionnels, ma mission est de faire l’inventaire des ustensiles avec l’une des gardiennes, notamment des couteaux mis sous verrou. Petit-à-petit Les Filles (je vais les appeler ainsi) arrivent. J’ai presque du mal à distinguer les prisonnières des bénévoles ! Quoi ? Orange is not the new black ?!

Assez naturellement nous nous faisons la bise et échangeons quelques sourires. Dans la bonne humeur, j’explique un peu mon parcours avant d’attaquer sur le menu du jour. Notre équipe s’organise : une team pour le ceviche, une autre pour le guacamole. Alain nous aide et attaque les fajitas, nous avançons comme des pro et j’en oublie presque où je suis. L’une vient du Bénin, l’autre adore cuisiner avec les mains, alors, allons-y gaiement notre marinade de poulet n’en sera que meilleure ! La troisième n’aime pas la coriandre mais adore presser les citrons verts. Ça rit fort ! Un ustensile utilisé, une petite main le lave aussitôt, quelle efficacité, je suis bluffée et sincèrement touchée par tout cet enthousiasme. 

Entre les rires, quelques confidences…
La plus ancienne du groupe a eu une année difficile. Je suis émue par son histoire et me demande ce qu’elle fait là mais n’ose poser la question. Je leur demande si mon appareil photo les dérange, pas du tout, elles se prêtent même au jeu et me posent des tas de questions sur mon métier.

Autour de midi…

Les autres détenues n’ayant pu participer à l’atelier pour des raisons professionnelles nous rejoignent. Les assiettes se dressent à la chaine « il faut que cela soit beau » disent-elles, comme si nous étions dans un restaurant gastronomique. Pour les absentes, nous préparons des barquettes que leurs codétenues leur apporteront ce soir. Je suis surprise de constater le contraste entre cohésion d’équipe et individualisme.

A table, ma voisine me confie être intolérante au gluten et au lactose, et me raconte que ce n’est pas tous les jours facile. La conversation autour du repas est menée par Audrey Guillier, journaliste, car il faut préparer l’interview de la ministre Nicoles Belloubet qui vient vendredi. Les questions tournent autour du droit des femmes, la place de l’intimité en tant que détenue, l’organisation des divisions, les activités proposées en prison…

Cet instant me ramène à leur dure réalité et je cache mon émotion en observant chacune d’entre elle avec leurs sourires timides et leurs blessures… Je me demande bien ce qu’elles ont pu faire pour en arriver là. Le soleil me brule dans le dos, derrière-moi la fenêtre grande ouverte donne une vue imprenable sur la ville de Rennes… derrière les barreaux.

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